Les réflexions sur les décisions comportant des réserves d’interprétation existent et ne manquent pas de pertinence. On a même pensé qu’en tant qu’organe constitué, le juge n’aurait pas reçu pouvoir de remettre en cause la volonté populaire exprimée par le législateur. Est aussi développée, l’idée de ne pas enfermer le juge dans un carcan qui l’empêcherait d’imposer la volonté de la Constitution à l’égard des lois qui lui sont contraires. Il ne serait pas dépourvu de compétence, au point de laisser libre cours à un autre organe constitué, fusse-t-il parlement, de modifier l’équilibre voulu par le constituant originaire.
Se découvre, en filigrane, une idée qui voit dans le juge constitutionnel, la bouche autorisée de la Constitution, son interprète fidèle. Quelques fois redoutée, l’intervention du juge parait avoir une portée politique positive, tant qu’elle rappelle au législateur le respect des options majeures contenues dans la Constitution.
Même si on peut reconnaitre la pertinence d’une expérience de législation, sans législateur et qui pourrait conduire au procès contre la justice constitutionnelle, le recours aux réserves d’interprétation s’impose dès lors qu’il vise à sanctionner les omissions inconstitutionnelles du législateur, Dans ces conditions, la réclamation d’un pouvoir juridictionnel limité ne doit pas être une tactique voilée de remise en question de son indépendance, socle de tout État de droit. C’est à croire qu’en censurant une loi inconstitutionnelle, le juge décide de modifier ses rapports avec le législateur. L’usage maitrisé des réserves d’interprétation permet, quoi qu’on dise, d’assurer la compatibilité du pouvoir du juge avec les exigences de la séparation des pouvoirs.
L’acceptation d’un véritable pouvoir normatif du juge constitutionnel n’étant pas exempte de risque, l’utilisateur doit, dans un esprit de coopération avec le législateur, faire en sorte que son intervention ne se limite qu’à la protection de la Constitution et des droits et libertés qu’elle garantit. Lorsqu’elle poursuit l’annulation d’une loi inconstitutionnelle ou l’amélioration de celle antinomique, la réserve d’interprétation fait du juge constitutionnel un législateur improvisé dans la production législative.
Par
Jean-Louis ESAMBO KANGASHE
Professeur de droit public, ancien juge à la Cour constitutionnelle